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RECONCILIER NATURE ET AGRICULTURE


Vincent Bretagnolle, avec Vincent Tardieu, CNRS Editions , 2021

 

Le 26 mai 2018, deux cent personnes se sont retrouvées dans une petite commune des Deux -Sèvres pour célébrer les 25 ans de la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre, créée en 1994 par Vincent Bretagnolle. La Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre est un laboratoire à ciel ouvert de
45 000 hectares, où vivent 34 000 habitants et plus de 400 exploitations agricoles. Depuis 25 ans elle fait l’objet de recherches de la part d’une équipe CNRS installée au milieu du territoire.


« Réconcilier nature et agriculture » relate l’histoire de ce travail de recherche parti de la
recherche académique et qui a évolué vers de la recherche-intervention, voire de la
recherche post moderne. C’est aussi l’histoire de Vincent Bretagnolle, chercheur spécialiste
des oiseaux, qui s’intéresse progressivement au milieu très agricole dans lequel vivent ces
oiseaux, puis à l’impact des pratiques agricoles sur les oiseaux et la biodiversité en général et
qui développe des expérimentation «  grandeur nature » avec les agriculteurs de la Zone
Atelier pour démontrer la faisabilité de nouvelles pratiques.
« Travailler sur ces nouveaux modèles, certes en pleine nature mais sur des terrains privés et
des territoires de production très anthropisés, m’a permis de toucher au plus près les
antagonismes aigus entre l’homme et ses activités, et la nature ».

Les premiers travaux se sont concentrés sur une espèce d’oiseau emblématique de la région
Poitou Charentes, l’outarde canepière, espèce protégée dont l’équipe de Vincent
Bretagnolle ne peut que constater le déclin catastrophique . « En 2000, il n’y a plus de doutes
au niveau national : la biodiversité est en train de s’effondrer dans les plaines agricoles et la
mécanique qui enclenche ce processus semble implacable ». Dans cette mécanique
implacable, il y a la disparition des haies, mais surtout la disparition des prairies ( y compris
les luzernes ) et des jachères «  le problème de la survie des outardes s’est déplacé vers celui
de la survie de l’élevage et du maintien des prairies dans les paysages agricoles de grande
culture ».

Vincent Bretagnolle commence ensuite à développer des programmes de recherche avec
des chercheurs de l’INRA sur les multiples rôles de la prairie dans les agrosystèmes, en
particulier sur la biodiversité (entre autres les oiseaux). Et le constat est sans appel : « Ainsi
les prairies permanentes, clé de voute du système agronomique, environnemental et
écosystémique, ont succombé sous les feux croisés de l’abandon de l’élevage extensif, d’une
politique de primes favorables aux cultures au détriment des prairies et des politiques
publiques européennes environnementales et économiques aux objectifs antagonistes et aux
effets contradictoires et dévastateurs ».
Une fois le constat fait, le travail avec les agriculteurs s’engage pour « proposer un autre
mode d’agriculture ou d’autres pratiques agricoles, mais certainement pas de remplacer les
agriculteurs ». Et c’est ainsi que l’équipe de chercheurs CNRS se lance dans l’animation de
contrats avec les agriculteurs pour mettre en place des Mesures Agri-Environnementales (
MAE) . Cette même équipe fait le suivi scientifique de l’impact de ces mesures. « Les MAE
pour avoir un effet détectable sur les populations d’oiseaux à l’échelle d’un territoire entier,
devront être mises en place dans la durée, sur des grandes échelles spatiales et avec un
niveau quantitativement important ».
Avec d’autres chercheurs, Vincent Bretagnolle s’intéresse aux adventices (ce que l’on appelle
les mauvaises herbes) contre lesquelles depuis les années 50 , les agriculteurs luttent avec
des herbicides. Et il va démontrer que diminuer, voire supprimer les herbicides, est tout à
fait possible sans pour autant pénaliser la production…et avoir un impact positif certain sur
la biodiversité.

Des rencontres fortuites vont aussi amener les chercheurs de la Zone Atelier à collaborer
avec les apiculteurs et construire dès 2008 un observatoire à long terme de l’apiculture et
des abeilles domestiques. Grâce à la possibilité se faire sur la Zone Atelier des études en
plein champ, l’équipe de Vincent Bretagnolle va mettre en évidence sans ambiguïté
l’impact des insecticides néonicotinoïdes sur les abeilles et sur la biodiversité : «  la seule
solution est donc de les interdire tous ».
« Au final , à quoi servent les pesticides ? » s’est demandé le chercheur. Et sa réponse, basée
sur les travaux scientifiques, est qu’ « il me semble assez réaliste d’émettre l’hypothèse qu’on
peut se passer de l’utilisation des pesticides ou, en tout cas, la réduire fortement ».
Naturellement, la réflexion de Vincent Bretagnolle s’est tournée vers l’agroécologie :
« l’agriculture conventionnelle maximise le rendement (en blé) à l’aide de ressources non
naturelles et non renouvelables quand l’agriculture biologique obtient son rendement en
transformant des intrants naturels ; elle produit, en plus du rendement, d’autres aménités ».
Malheureusement malgré la démonstration faite sur le terrain que les revenus des
agriculteurs s’améliorent en réduisant les intrants et les pesticides, les pratiques agricoles ne
changent pas. D’une part, « contrairement aux apparences en effet, je pense que
l’agroécologie n’est pas soutenue, malgré tous les effets d’annonce ». Mais d’autre part,
pour que l’agroécologie fonctionne, il faut qu’il y ait de la biodiversité. Or la biodiversité
s’effondre en raison des pratiques agricoles….
Toujours dans la logique d’une approche systémique et inclusive, Vincent Bretagnolle et son
équipe commencent à mettre en place des projets qui concernent les citoyens : présentation
de films dans les villages, opération d’installation de nichoirs… «  les programmes ont selon
leurs dires, changé leur rapport à la nature et à la biodiversité » . Ils s’emploient à mobiliser
l’ensemble des acteurs du territoire : « Aujourd’hui, je travaille à la fois avec la LPO et avec
les chasseurs, même si nous ne sommes pas tous autour de la même table », mais aussi les
politiques ou les entrepreneurs.
Cet ouvrage est passionnant car il permet de de suivre l’évolution de la réflexion du
chercheur qui élargit progressivement son champ de recherche et fait évoluer ses méthodes
en sortant des méthodes classiques hypothético-déductives : face à des problèmes très
complexes, les « wicked problems » , «  l’équation un problème – une solution mène au
mieux à une impasse , au pire conduit au précipice en compliquant encore plus le problème ».
D’où le développement d’une recherche «  post- normale » transdisciplinaire qui non
seulement associe plusieurs disciplines pour investir « ces problèmes dans un contexte
d’incertitude, mais aussi « associe les acteurs, les citoyens et leurs savoirs ».
Pour terminer cette chronique, je laisse le mot de la fin à l’auteur : « La biodiversité est
aujourd’hui notre unique arme pour nous protéger du changement climatique, inéluctable,
déjà en cours. Les non-humains et la nature, plus encore que nos alliés, sont nos compagnons
de voyage ».

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