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RAVIVER LES BRAISES DU VIVANT - Un front commun


RAVIVER LES BRAISES DU VIVANT
Un front commun
Baptiste Morizot, Editions Actes Sud/ Wildproject, 2020

« La nature et ses contributions à la vie des peuples se dégradent partout dans le monde » nous disent les scientifiques de l’IPBES. Fidèle à sa méthode combinant enquête de terrain et prise de recul philosophique (voir la chronique de Manières d’être vivant, ouvrage du même auteur paru également en 2020), Baptiste Morizot, philosophe de terrain, analyse les « leviers d’action écologique » dont nous disposons pour inverser la tendance. Et il ne s’agit pas de « protéger la nature », car il faut être bien conscient « que la nature est une invention dualiste qui a contribué à la destruction de nos milieux de vie, et que « protéger » est une conception paternaliste de nos rapports au vivant ».
 

L’ouvrage commence donc par « l’anatomie d’un levier » : les foyers de libre évolution forestière, à travers l’exemple de Vercors Vie Sauvage, une association qui a acquis en 2019 une forêt de 500 hectares pour « la laisser tranquille ». Une initiative qui est à la confluence de 3 concepts : « la libre évolution (comme style de gestion du milieu), l’acquisition foncière par une association à but non lucratif (comme moyen de pérenniser la protection) et le financement participatif (comme mobilisation citoyenne pour concourir ensemble à la propriété) ». 

Ce premier chapitre donne à l’auteur l’occasion de déconstruire le slogan de la mise sous cloche ; « la libre évolution….. accepte l’histoire humaine des forêts » et de proposer de détourner la toute-puissance de la propriété. Une telle action est-elle au niveau des enjeux ? Oui, nous répond l’auteur car il faut voir la biosphère non comme une cathédrale, mais comme un feu dont il convient de maintenir les braises. « Nous ne pouvons rien restaurer : ce sont les dynamiques du vivant qui sont seules capables de se restaurer elles-mêmes, nous pouvons au mieux restituer les conditions minimales pour que le vivant se restaure lui- même ». La libre évolution forestière - qui permet de raviver les braises du vivant – est ainsi « un bon exemple du type d’idées aux mains puissantes dont il faudrait inventer des myriades pour sauver ce qui doit l’être ». 


Un chapitre complet est consacré à déconstruire la conception dualiste des rapports entre « humains » et « nature » : lutter pour la nature ne se fait pas au détriment des humains. Certes il faut sortir de la vision ou « La réserve de wilderness constitue ….le pourcentage de bonne conscience pour laisser l’agrobusiness capitaliste exploiter aveuglement tout le reste » mais exploiter et sanctuariser ne sont pas forcément des usages de la terre irréconciliable .
Les tentatives de ré-ensauvagement doivent s’articuler avec des alternatives dans les usages humains des territoires. Ainsi ce réensauvagement n’est pas opposé par principe à l’agriculture, il s’oppose à une forme d’agriculture extractiviste : « la paysannerie soutenable repose sur les mêmes dynamiques du vivant et sur la même confiance en elles qui caractérise le réensauvagement. » Ce qui caractérise cette évolution, c’est que « Dans le ré-ensauvagement, on ne régénère pas le vivant- ce n’est pas en notre pouvoir : on amorce ses puissances autonomes de régénération ». Ce ré-ensauvagement peut se faire via « trois types d’actions déployées parfois de manière conjointe, parfois de manière isolée : préserver des cœurs de nature en libre évolution, assurer la connectivité entre ces zones- cœurs, réintroduire des espèces clés de voute »
Il faut aussi sortir du mythe de « l’improvement » qui postule le besoin de l’intervention humaine pour améliorer la nature « comme si la nature, sortie indisciplinée des mains de Dieu avait besoin d’être dressée pour s’accomplir ». Cette évolution éco paternaliste est liée au fait « qu’il a fallu, dans la cosmologie moderne, cheapiser d’abord les milieux sauvages, par un acte philosophique de dénégation de la valeur…pour croire ensuite à la nécessité de les valoriser ». Il est donc urgent de restaurer la confiance dans les dynamiques du vivant tout en restant lucide car « dans les décennies qui viennent, le monde vivant, déréglé par nos activités insoutenables, va déclencher des réactions qui vont nous malmener ». Il ne s’agit donc pas de se mettre dans une position de faire la guerre à la nature « car on ne fait pas la guerre à ce qui nous porte ». Il s’agit plutôt de « de recueillir ses dons qui nous font vivre, et de nous prémunir au mieux contre ses dons qui nous malmènent ».

A travers cet ouvrage tout en nuances, Baptiste Morizot nous propose de sortir de la position surplombante qu’a pris l’humain vis-à-vis de la nature. « Si on ne se pense plus comme des « humains » face à la « nature », mais comme des vivants parmi les vivants, on ne protège pas la nature comme altérité- sauvage, ni la nature comme altérité- ressource fragile : on défend la communauté des vivants dont nous sommes des membres et qui nous maintiennent en vie, et qui nous a fait ». Il ne s’agit donc ni de sanctuariser, ni de continuer l’exploitation extractiviste, mais d’être attentifs à maintenir les « braises du vivant » car les forces spontanées du vivant sont capables de se régénérer d’elles-mêmes à condition que nous mettions fin aux pratiques qui les étouffent... et nous avec !

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