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OÙ SUIS-JE ? Leçons de confinement à l’usage des terrestres - Bruno Latour, Éditions la Découverte, 2021


Après « Où atterrir ? » publié en 2017, Bruno Latour s’inspire des constats  tirées de la pandémie et du confinement pour nous proposer un conte philosophique. Cette forme de conte peut dérouter le lecteur de prime abord, mais quand on prend le temps de se plonger dans le texte, on y trouve une réflexion très riche et pertinente.

Pour écrire ce conte, Bruno Latour s’est inspiré de « La Métamorphose » de Franz Kafka. Faisant l’analogie à notre situation de confinés, il nous met dans la peau de « celui qui se réveille insecte » et qui « se retrouve terrifié de ne pouvoir se lever comme avant pour aller travailler ». Comme Gregor Samsa, le héros de Kafka, nous voilà totalement perdus, privés de nos repères habituels, rampant dans un monde rendu subitement hostile et ne comprenant rien à ce qui nous est arrivé.

Bruno Latour s’amuse à décrire l’angoissant univers carcéral d’un termite qui se confine dans sa propre termitière : nous avons du mal à communiquer, nous n’avons plus la possibilité de circuler librement, nous sommes empêchés dans nos mouvements et refermés sur nous- mêmes comme dans des coquilles, en regrettant les êtres humains « à l’ancienne » que nous étions, libres de se déplacer et vivre au grand air.

Ce confinement imposé par la pandémie est l’occasion pour Bruno Latour de réfléchir à un autre « confinement » en cours lié à la crise autrement plus profonde qu’est la crise écologique.

Dans « Où atterrir ? » Bruno Latour dressait le constat d’une Terre devenue inhabitable, qu’il fallait fuir, sans savoir où aller, en quête désespérée d’un refuge susceptible de nous accueillir.  Dans « Où Suis-je ?», il traduit cela sous forme d’un confinement : « Je me souviens encore que, avant, je pouvais me déplacer innocemment […]. Maintenant je sens que je dois avec effort tirer dans mon dos une longue traînée de CO2 qui m’interdit de m’envoler en prenant un billet d’avion et qui embarrasse désormais tous mes mouvements ». Où que l’homme porte le regard, il ressent les effets et contraintes de la crise écologique. Il ne reste à l’homme que la lune « la seule chose qu’il pouvait regarder sans ressentir un malaise ».

Il va nous falloir apprendre à vivre avec cette nouvelle réalité et modifier notre rapport au monde pour intégrer le fait que les humains ne peuvent vivre « hors sol »  et sont complétement partie prenante de la vie de la Terre : « Peu à peu, nous nous apercevons que le mot «  Terre » ne désigne pas une planète comme tant d’autres …mais un nom propre qui rassemble tous les existants ….qui se sont étendus,  répandus, mélangés, superposés, un peu partout, en transformant de fond en comble, en ravaudant incessamment leurs conditions initiales par leurs interventions successives».

En particulier, il va nous falloir réduire « La formidable déconnexion, chaque jour croissante, entre le territoire ou l’on vit et le territoire dont on vit », déconnexion qui a été très visible lors du 1er confinement lié à la pandémie : nous avons pu alors mesurer notre dépendance extrême à une économie mondialisée.

Au passage, Bruno Latour se livre à une critique radicale du système économique « Il ne s’agit pas de faire une nouvelle critique de l’économie politique, mais de l’abandonner tout à fait comme description des rapports que les formes de vie entretiennent les unes avec les autres ».

A travers cet ouvrage, Bruno Latour nous fait comprendre que nous n’avons pas le choix et  si nous ne voulons pas rester «  confinés »  en raison du « Nouveau Régime Climatique », comme nous l’avons été par la COVID,  il nous faut devenir des êtres nouveaux en repensant notre rapport à la Terre, le seul environnement dont nous disposons pour organiser notre vie. Bruno Latour nous donne des pistes pour répondre à la question « sur quelle terre vais-je bien pouvoir vivre, moi et mes descendants ? ». Et il nous fait comprendre que la métamorphose sera sans doute difficile et douloureuse, mais toujours moins que de vivre confinés comme une blatte comme dans l’ouvrage de Kafka.  Et il conclut « Vous devez vous disperser au maximum, en éventail, pour explorer toutes les capacités de survie, pour conspirer autant que possible avec les puissances d’agir qui ont rendu habitables les lieux où vous avez atterri ».

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