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LES MARCHANDS DE DOUTE


Naomi Oreskes, Erik M. Conway, Edition Le pommier, 2012 et 2021.

«L’histoire que nous racontent Naomi Oreskes et Erik Conway est celle d’un petit groupe de chercheurs et universitaires, généralement influents et reconnus dans leurs disciplines respectives, qui ont systématiquement pris position dans différentes arènes pour s’opposer à toute forme de réglementation sanitaire ou environnementale, et ce, en instrumentalisant le doute scientifique à leur profit», nous dit Stéphane Foucart dans la préface de l’édition de 2021 (la première édition date de 2012 en version française).

«Les marchands du doute» est effectivement un livre référence sur ce sujet de l’utilisation du doute scientifique pour retarder des interventions réglementaires suite à la mise en évidence d’impacts sanitaires et environnementaux d’activités humaines. Les auteurs, tous deux historiens des sciences, ont fait un travail scientifique rigoureux (une centaine de pages de notes et références ) pour documenter comment quelques scientifiques, pour des raisons idéologiques, sont complétement sortis d’une posture scientifique pour contrer médiatiquement des évidences scientifiquement établies.

C’est aujourd’hui un fait bien connu pour les industriels du tabac qui ont utilisé pendant des années des scientifiques pour semer le doute sur l’impact réel du tabac (y compris du tabagisme passif). Mais cela a aussi été vrai pour le nucléaire militaire : bien qu’il ait été clairement démontré que l’Initiative de Défense Stratégique de Ronald Reagan ne pouvait que conduire à une destruction de la planète dans un hiver nucléaire, pendant des annéesdes physiciens profondément anticommunistes l’ont défendu. De même, il a été semé la graine du doute sur les pluies acides pour retarder au maximum la réglementation des activités des industriels, qu’il a été monté un contre récit dans la bataille du trou de la couche d’ozone et qu’il y a toujours un déni du changement climatique. On a même pu assister à une attaque révisionniste qui, 30 ans après, a remis en cause la réglementation de l’utilisation du DDT consécutif à la publication du livre « Printemps Silencieux » de Rachel Carson en 1962. Chacun de ces sujets fait l’objet d’un chapitre très détaillé pour raconter « L’histoire d’une bataille contre les faits, livrée pour vendre du doute ».

Derrière le comportement de ces scientifiques « marchands de doute », il y a d’abord souvent un anticommunisme forcené : pour la plupart, ce sont des physiciens qui ont participé à la mise au point de l’arsenal nucléaire de la guerre froide. Et ils voient dans les environnementalistes des « pastèques » (verts à l’extérieur, rouges à l’intérieur). Ce sont des personnes qui n’ont aucune expertise scientifique dans les domaines sur lesquels ils s’expriment (enjeux sanitaires et environnementaux) mais qui utilisent leur aura scientifique et leur accès au pouvoir pour s’exprimer de manière catégorique sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas scientifiquement. Mais le point le plus important, c’est que ce sont des partisans du laisser-faire économique, de l’idéologie du marché capable de résoudre tous les problèmes (« le fondamentalisme du marché ») surtout sans intervention de l’Etat pour réglementer, et convaincus que la technologie peut tout résoudre. Et ils sont naturellement financés par les Think Tanks ou des entreprises qui partagent cette vision.

À travers l’histoire racontée par les auteurs, on voit ainsi émerger une science instrumentalisée pour soutenir une idéologie, alors que cette idéologie est de plus en plus clairement démentie par les données scientifiques. Malgré ce démenti scientifique, les idées portées par ces marchands de doute ont la vie dure, car une « faible quantité de personnes peuvent avoir une grande influence négative, particulièrement si elles sont organisées, déterminées et qu'elles ont accès au pouvoir. »

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