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LE COURAGE DE LA NUANCE


LE COURAGE DE LA NUANCE

Jean Birnbaum, Editions du seuil 2021

 

« Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison », disait Albert Camus.

C’est cette sensation d’étouffement, d’oppression qui a conduit Jean Birbaum, journaliste, directeur du Monde des Livres à écrire cet essai. « Dans les controverses publiques comme dans les discussions entre amis, chacun est désormais sommé de rejoindre tel ou tel camp, les arguments sont de plus en plus manichéens, la polarisation idéologique annule d’emblée la possibilité même d’une position nuancée... Les réseaux sociaux sont devenus une arène ou le débat est remplacé par le combat ». 

D’où cet essai qui se veut un « bref manuel de survie par temps de vitrification idéologique ». Le choix de la forme d’un essai s’imposait, car « la puissance de la nuance s'épanouit au mieux dans ce type de livre inclassable, à la charnière de la littérature et de la pensée". Autrement dit qui, au sens propre, "essaie, tâtonne, tente quelque chose, et dont la force n'est pas de trancher mais d'arpenter ces territoires contrastés où la reconnaissance de nos incertitudes nourrit la recherche du vrai. »

Pour parler de nuance, Jean Birnbaum fait appel à 7 grands penseurs du 20ième siècle : Albert Camus, « tout en équilibre », Georges Bernanos, « Une foudroyante lucidité », Hannah Arendt, « le génie de l’amitié », Raymond Aron, « modéré avec excès », Georges Orwell, « la révolution du fair play », Germaine Tillon, « la vérité au cœur », Roland Barthes « casse des clichés ».

Dans des courts chapitres consacrés à chacun de ces intellectuels, il illustre leur capacité personnelle à faire dans la nuance dans des périodes troublées qu’ils et elles ont vécu (guerre d’Espagne, Seconde Guerre Mondiale , guerre froide, guerre d’Algérie …).

Pour Albert Camus « Notre monde a besoin de cœurs brûlants qui sachent faire de la modération sa juste place… Parfois, l'éthique de la mesure est une éthique du silence. »

Chez Germaine Tillion, la règle a toujours été «  Ne pas travestir les faits, reconnaître ses propres erreurs , opposer le rire à la bêtise ».

Roland Barthes nous parle de l’importance de la littérature « La science est grossière, la vie est subtile et c'est pour corriger cette distance que la littérature nous importe… Elle permet de se soustraire aux partis pris de ceux qui ont hâte de conclure, aux fausses alternatives des mauvaises polémiques, aux manichéismes qui voient le monde en noir et blanc... »

Entre les chapitres consacrés aux penseurs, l’auteur nous livre des « interludes » thématiques qui font le lien entre plusieurs penseurs : « des mots libres pour des hommes libres », « il faut parler franc » , « la blague est quelque chose d’essentiel », « vous avez dit « faire le jeu de » ? », «  l’inconnu, c’est encore et toujours notre âme » , la littérature, maitresse des nuances ». 

Merci à Jean Birnbaum de nous avoir fait entendre « cette petite troupe d'esprits hardis, délivrés de tout fanatisme, qui ont accepté de vivre dans la contradiction, et préféré réfléchir que haïr ». Car cela nous permet de prendre du recul pour oser le courage de la nuance, car « dans le brouhaha des évidences il n'y a pas plus radical que la nuance ».

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