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LA FABRIQUE DE L'HUMANITÉ - Comment notre cerveau explique la famille, l'économie, la justice, la religion...


Pascal Boyer, Editions Robert Laffont, 2021


« Pourquoi la société humaine serait un mystère ? Pourquoi les sociétés humaines ne pourraient-elles être décrites avec la même minutie et le même succès que le reste de la nature ?» Telle est la question qui a conduit, Pascal Boyer, philosophe et anthropologue, franco-américain à la fois titulaire de la chaire d’anthropologie cognitive à l’université Washington de Saint Louis et directeur de recherche au CNRS, à entreprendre la rédaction de « La fabrique de l’humanité ». 


En effet, comme il le dit dans une interview dans l’Express (2 juin 2022) : « Cela fait quarante ans que des chercheurs travaillent sur la dimension cognitive ou psychologique de l'évolution et ses conséquences pour la vie sociale. Or ces recherches ne sont pas connues. Mon objectif est donc d'abord pédagogique. Quand nous débattons, dans nos sociétés, de la famille, de la justice sociale, des conflits humains ou encore de la religion, il serait bienvenu de se renseigner sur la façon dont l'espèce humaine fonctionne, au lieu de s'en tenir à des habitudes ou au contraire de prôner des ruptures. Les sciences cognitives, ici, peuvent offrir des enseignements concrets ».  

La grille de lecture de l’auteur, c’est celle issue de la théorie de l’évolution : « l’idée centrale de l’approche évolutionniste est que les capacités et dispositions qui nous distinguent des autres organismes sont là parce qu’elles ont contribué au succès reproductif de nos ancêtres ». Autrement dit, nos relations sociales et notre rapport aux croyances sont modelés par des capacités cognitives spécialisées façonnées par l'évolution.

Tout l’ouvrage est donc consacré à montrer de manière très pratique comment cette « logique évolutive… est la clé des comportements humains, y compris des comportements sociaux ». Il s’articule autour de plusieurs chapitres qui appliquent cette clé de lecture à la manière dont nous formons des groupes et aux conflits entre groupes, à notre fascination pour la religion, à nos interactions au sein des familles, à la notion de justice au sein des sociétés, à la manière dont nous comprenons l’économie ….

« Les humains se distinguent des autres espèces par la quantité et la variété des informations qu’ils tirent du comportement des autres humains ». Les humains ont ainsi développé des mécanismes cognitifs de gestion d’une multitude d’informations. Ces mécanismes totalement inconscients (on parle d’intuition) les amènent à réagir en optimisant les réactions en fonction de la contribution au succès reproductif de l’espèce. Ainsi « Les raisons pour lesquelles les humains choisissent de faire la guerre ou de coopérer ne sont pas le résultat de préférences stables générales et indépendantes du contexte, comme le croyaient les hobbesiens et les rousseauistes, mais un ensemble de mécanismes conditionnels qui évaluent la valeur de chaque stratégie selon la situation ». 

De même notre fascination pour les religions peut s’expliquer par des « processus cognitifs individuels grâce auxquels les représentations religieuses sont perçues comme une fiction qui peut être intéressante (indifférence), comme une manière de cultiver son être, ou comme le fondement d’une solidarité de groupe et d’une hostilité entre groupes ». Autrement dit les humains s’intéressent aux religions soit pour les avantages pratiques que cela peut leur apporter, soit parce que cela correspond à leur souhait d’explorer de techniques et disciplines personnelles, soit parce que cela permet de souder un groupe : « les gens recherchent force et cohésion dans les coalitions, et les thèmes religieux qui favorisent le recrutement moral sont sélectionnés intuitivement en cas de besoin »

En analysant la notion de famille ( « La famille naturelle existe-t-elle ? »), l’auteur nous fait prendre conscience que plutôt que d’insister sur le concept de famille , très différent selon les cultures, il faut plutôt s’intéresser au «  rôle fondamental de la parenté en tant que principe organisateur ». Le chapitre lui permet d’analyser la manière dont la parenté humaine a été façonnée par la sélection naturelle : cerveau plus gros permettant aux humains de gérer des relations sociales, d’où une grosse tête qui fait que le bébé humain doit naitre « prématuré », le besoin pour les femmes de protéger les nouveaux nés, le développement du couple avec une spécialisation entre homme et femme ….

De même le fait que les humains sont incroyablement coopératif ( l’irrationalité de l’altruisme ) peut s’expliquer par l’approche évolutionniste et la théorie des jeux : «  La compétition et la coopération purent être étudiés non pas en invoquant des instincts agressifs ou pacifiques , mais en tant que stratégies, autrement dit en tant que choix pouvant avoir un effet positif ou négatif sur le succès reproductif des individus , et donc augmenter ou réduire la fréquence, dans les populations, des gènes produisant ces comportements  »

Pour répondre à la question « pourquoi les êtres humains parviennent à créer et perpétuer l’action collective ? », l’auteur analyse les problèmes potentiels de l’action collective et les parades que semble avoir trouvé la sélection naturelle. L’existence de hiérarchies s’explique par le fait que « l’esprit humain serait capable de mesurer les couts et bénéfices des stratégies de chef et de subalterne ». Par contre les humains résistent aux abus de pouvoir quand ce pouvoir « améliore le succès reproductif d’un individu sans que cela s’accompagne d’avantages compensatoires pour les autres individus du groupe »

Dans la conclusion, l’auteur revient sur la différence entre la compréhension intuitive et les informations et croyances réflexives. « Les représentations intuitives s’imposent à nous rapidement et, en gros, automatiquement, en présence de stimuli pertinents ». A cette réaction intuitive s’ajoute une information réflexive qui permet « d’élargir, de donner du sens, d’expliquer, de justifier ou de communiquer les contenus de l’information intuitive » . C’est ce que nous appelons des concepts ou des normes culturelles.

Un ouvrage passionnant, parfois difficile à suivre tant il est foisonnant. On en ressort convaincu de l’intérêt d’intégrer les disciplines et de tirer parti des développements extraordinaires de la biologie et des sciences cognitives pour mieux comprendre les sociétés humaines

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