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JUSTICE POUR LE CLIMAT


Judith Rochfeld ,

Odile Jacob , 2019

 

« Le contrat social a été rompu… c’est en conséquence non seulement notre droit mais notre devoir moral de contourner l’inaction du gouvernement et le manque flagrant à ses devoirs et de nous rebeller pour défendre la vie même ». Ce constat fait par l’association Extinction
Rebellion conduit à une multiplication des mobilisations citoyennes pour le climat. Les plus visibles se tiennent dans la rue ou dans les grands cénacles politiques (cf. Greta Thundberg à l’ONU).


« Mais, même si ce n’est pas aussi visible médiatiquement, une autre arène se trouve aussi en pleine effervescence : l’arène judiciaire ».
D’un côté, des villes, des États, des individus multiplient les procès contre les entreprises polluantes. New York par exemple, a demandé aux entreprises pétrolières une participation aux travaux nécessaires pour se prémunir des conséquences du changement climatique et des inondations récurrentes.

D’un autre côté, ces villes, régions, États se trouvent eux-mêmes également attaqués en justice par des citoyens qui leur enjoignent de faire évoluer leur politique climatique. Le plus symbolique de ces procès s’est dénoué récemment : en décembre 2019, la cour suprême des Pays Bas a définitivement confirmé la victoire judiciaire de l’ONG Urgenda contre le gouvernement des Pays-Bas. Le jugement selon lequel l’Etat hollandais n’en a jusque-là pas
fait assez pour lutter contre le réchauffement climatique et doit maintenant agir avec détermination et efficacité a ainsi été confirmé.

En France, plus de 2 millions de personnes s’étaient mobilisées en signant la pétition « l’affaire du siècle » qui a conduit à un dépôt de plainte pour inaction climatique contre l’État Français en 2019.

Ces nouvelles formes de mobilisation citoyenne sont au cœur de l’ouvrage « Justice pour le climat » de Judith Rochfeld. Celle-ci ne se contente pas de nous raconter les différents procès en cours : en spécialiste du droit, elle analyse le foisonnement d’arguments mobilisés dans tous ces procès et propose des pistes pour faire évoluer cette argumentation.

On y voit ainsi apparaître la notion de bien commun : « mais pourquoi si peu d’arguments prennent comme fondement cette protection du bien commun ? » se demande-telle. Elle propose de faire du climat un « commun », à la manière d’une ressource fondamentale dévolue à l’usage de tous et de chacun, dont les règles d’utilisation garantiraient la pérennité maximale pour les générations futures.

Elle met en évidence un des paradoxes actuels : le défi écologique est plus que jamais planétaire, mais les échecs répétés de la « gouvernance mondiale » en matière climatique - voir les résultats décevants des COP - conduisent à ce que le sujet climatique soit territorialisé. Chaque État, sous la pression de citoyens mobilisés, est sommé de « faire sa part ».


Pour ce qui concerne les entreprises, il s’agit d’utiliser la justice pour leur faire internaliser les externalités : en matière environnementale, ce type de procès n’est pas nouveau (procès liés aux marées noires par exemple). Ce qui est nouveau, c’est la difficulté de relier un événement multi causal et de long terme comme le changement climatique et l’action d’un acteur particulier « ce qui touche au climat se distingue fortement des autres cas car ils
impliquent des dommages lointains et diffus, obligeant à formuler des réponses inédites ».

On voit ainsi apparaitre la responsabilité sociétale de l’entreprise « sommée d’être sociale et environnementale, sous le regard d’un large cercle de parties prenantes ayant acquis la légitimité de la rappeler à l’ordre ».

Une autre révolution juridique, c’est la fin de la logique binaire d’opposition entre humains et non humains. La tendance est à conférer une personnalité juridique à des fleuves ou forêts (comme c’est le cas depuis deux ans en Amérique Latine et en Nouvelle-Zélande), voire à la Terre (Constitution de l’Équateur), c’est-à-dire sortir des clivages philosophiques occidentaux entre l’Homme et la Nature. « C’est donc nos places respectives, humain et non
humain, qui se redéfinissent. Nous vivons la fin des choses ».

De prime abord, on pouvait douter que ces procès pour le climat aboutissent. Et pourtant, s’il y a encore beaucoup d’échecs, il faut constater une certaine efficacité, au moins médiatique. Et c’est probablement grâce à des juges, qui pour affronter ces situations inédites, ont « une audace équivalente à un choix politique ». Le choix de la justice climatique et d’un avenir pour l’humanité ?

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