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ETHNOGRAPHIE DES MONDES À VENIR


ETHNOGRAPHIE DES MONDES À VENIR
Philippe Descola, Alessandro Pignocchi, Editions du Seuil, 2022


Philippe Descola, anthropologue, professeur émérite au Collège de France, a passé sa carrière à déconstruire le concept de nature comme absolu, en le définissant comme une « construction sociale de l’Occident Moderne ». Alessandro Pignocchi a été chercheur en sciences cognitives et philosophie de l’art. Ayant vécu chez les peuples indigènes d’Amérique du Sud, il a choisi la bande dessinée pour s’exprimer et comme moyen de traduire pour le grand public les travaux de Philippe Descola. Il a aussi passé du temps sur la ZAD Notre Dame des Landes.
 

Partant du constat , que nous sommes beaucoup à faire, à savoir que « Nous sommes collectivement écrasés par un monde hégémonique, régi par les lois de l’économie, ou les plantes, les animaux, les milieux de vie et une quantité croissante d’humains se retrouvent assignés à la catégorie des objets que l’on exploite, que l’on use jusqu’à la trame, sans la moindre retenue, ni le moindre devoir de réciprocité. » , ils se posent la question « Comment faut-il s’y prendre pour affaiblir ce monde, le fracturer et laisser émerger d’autres mondes plus égalitaires, ou le pouvoir politique serait non seulement réparti équitablement entre les différents humains, mais aussi étendu, dans le même mouvement et de multiples façons, aux autres êtres vivants».
Pour tenter de répondre pratiquement à cette question, ils ont construit un ouvrage hybride alternant des chapitres de dialogue entre les deux auteurs et des petites bande dessinées illustrant de manière humoristique les idées développées, à l’aide d’un anthropologue jivaro, des mésanges punks ou d’hommes politiques en quête de métamorphoses.
Les auteurs commencent par analyser la distinction moderne entre nature et culture et pourquoi il convient de la dépasser, l’intérêt du concept de symétrisation en anthropologie et les quatre grandes façons d’organiser les relations entre humains et non humains : naturalisme, animisme, analogisme et totémisme que chaque humain les porte en lui, en puissance.
Ils critiquent ensuite la vision d’après laquelle les sociétés humaines évoluent toutes selon une trajectoire unique. Après avoir dégagé quelques leçons de l’expérience de Notre Dame des Landes, les auteurs s’attaquent au sujet principal : la suprématie actuelle de la sphère économique dans le monde occidental qui est le verrou « qui bloque tout aspiration à sortir du naturalisme et de son utilitarisme ». Les auteurs notent « la nécessité d’extraire les biens de subsistance de la commensurabilité généralisée » car tout ne peut être ramené à une valeur économique : il faut multiplier les jeux de valeurs. Ils esquissent alors un « projet politique hybride qui voit cohabiter et interagir des structures de type étatique et des territoires autonomes ». Ce projet suppose un foisonnement hétérogène de modes d’organisation sociale, de manières d’habiter et de cohabiter et donc de la diversité.
C’est sur l’importance de la diversité, « la seule valeur, réellement, universalisable » que concluent les auteurs. Une diversité qui doit s’appliquer à nos modes de connaissance : nous devons savoir penser à la fois comme « un chamane et un scientifique ».
« Pour penser et vivre ces mondes à venir que nous espérons multiples, chatoyants, tissés de nouvelles alliances et, inévitablement, de lignes de conflit, il serait utile de savoir subjectiver les situations, changer de perspective tel un chamane amazonien, ou ce qui revient finalement un peu au même, comme un ethnographe de terrain »
Un remarquable travail pédagogique qui nous permet de bien comprendre la puissance des travaux des anthropologues pour nous aider à construire un monde différent qui ne soit pas uniquement régi par les lois de l’économie.

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