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ENSEMBLE POUR MIEUX SE NOURRIR


Enquête sur les projets solidaires et durables pour sortir de la précarité alimentaire

Fréderic Denhez et Alexis Jenni , Editions Actes Sud, 2021

 

La pandémie de COVID a été un révélateur sur le fait «  qu’en France , il y a des gens qui ont du mal à se payer de quoi manger ». Mais qu’il y a aussi des « structures formidables qui ne considèrent pas les pauvres comme des personnes à plaindre mais comme des citoyens capables d’agir et d’exercer leur choix ». 

Les auteurs, un ingénieur écologue et un écrivain, sont allés un peu partout en France à la rencontre des personnes qui ont du mal à manger et de celles qui les aident.  Il en ressort un ouvrage combinant de belles (et moins belles) histoires et une prise de recul sur les différents thèmes qui constituent l’ossature du livre.  

  • Qu'est-ce que manger ?

L’ouvrage commence avec une réflexion sur ce que c’est de manger.  « Un repas équilibré ne repose pas uniquement sur un socle nutritionnel, il y a également toute la dimension sociale autour du repas qui est extrêmement importante pour les personnes les plus vulnérables ».

  • Qu’est-ce qu’être pauvre ?

L’étude INSEE de 2020 montre que près de 15% de la population est sous le seuil de pauvreté, soit environ 9 millions de personnes. Mais derrière ce chiffre se cache une réalité multiple que les auteurs sont allés voir à Soumoulou  (à côté de Pau ) dans  un lieu de distribution de paniers alimentaires  «  penser que les pauvres doivent se contenter du bas de gamme, voire de produits qui ne font même pas partie du circuit commercial habituel, est une représentation bien ancrée, si spontanée qu’on ne l’interroge même pas ». 

Et Ils sont aussi allés, à Dunkerque, rencontrer La Petite Pierre  qui accompagne 200 familles  régulièrement  : «  Ça coûte plus cher de ne rien faire, il y a des coûts cachés de la précarité, du point de vue de la santé, de la formation, de la déréliction, du lien social, mais ils sont difficiles à chiffrer ».  

  • L’aide alimentaire telle qu’elle est 

L’aide alimentaire ce n’est pas seulement les files d’attente des Restos du Cœur, c’est surtout un « rouage méconnu de l’économie sans lequel le système agroalimentaire ne saurait pas quoi faire de ses surplus et de ses invendus ». De plus, le confinement de 2020 a permis de mettre en lumière que l’aide alimentaire repose avant tout sur 200 000 personnes qui travaillent pour les autres sans rémunération pour les autres. 

A travers les données d’un rapport très récent de l’Inspection Générale des Affaires Sociales ( IGAS)  et une visite à La Banque Alimentaire du Rhône, les auteurs nous font découvrir «  Le pauvre et le bénévole, le duo essentiel qui empêche le système agroalimentaire de gâcher ses monceaux de déchets ». 

D’autant que la loi Garot de 2016 a interdit aux grandes surfaces de jeter leurs invendus : elles les donnent donc à l’aide alimentaire ce qui permet certes de réduire le gaspillage, mais «  la  générosité imposée par la loi est au deux tiers une dépense publique financée par le contribuable » grâce aux réductions d’impôt sur les dons.

Et la qualité nutritionnelle de ce qui est donné n’est pas au rendez-vous. S’agissant des produits du Fonds Européen d’Aide aux Démunis ( FEAD) , » si l’équilibre entre grandes  catégories d’aliments est satisfaisant, les protéines animales sont surreprésentées, de même que les acides gras et les sucres libres ».  

  • Tout faire soi-même

Alors «  La solution pour bien manger quand on n’a pas le sou  serait de tout faire soi même » ?

Nous repartons à Soumoulou et à Dunkerque  où à côté de la distribution de colis alimentaires se développent des activités autours de jardins .   «  Ce qui est frappant , c’est que les gens font du jardin pas forcément pour la nature en tant qu’entité, mais pour répondre à un besoin social : la recherche d’une qualité de vie , de relations sociales au sein d’un quartier. C’est ensuite que vient la nature et  bien après l’alimentation ».

  • Le piège des bonnes intentions 

« L’aide n’est pas là pour remplir le ventre, mais pour motiver à se sortir de l’enfermement qu’est la condition de pauvre ». C’est pourquoi si l’aide alimentaire ne considère pas l’autre, elle peut être pétrie de bonnes intentions, mais ne pas atteindre son objectif.  D’abord, il faut éviter que les bénévoles « comblent leurs propres besoins en utilisant les autres ». Et, comme l’illustrent deux beaux exemples à Montpellier et Saint-Denis, il peut arriver que les projets les plus généreux loupent leur cible :  «  elles visaient les publics les plus infériorisés par l’organisation de la société, les plus lointains, elles ont capté des publics certes précaires mais culturellement intégrés ».

  • L’argent 

A travers les exemples de l’association Vrac,  des épiceries solidaires Epicentre  à Lyon,  et la Casaline à Saint Fons ,  le chapitre illustre la complexité du financement des structures d’aide alimentaire, « car il n’y a pas de modèle économique du caritatif dans une économie de marché ». D’où des animateurs de structures qui passent un temps énorme à chercher des financements :  «  les structures d’aide font du social et du solidaire, c’est-à-dire du service public. Il faut que la société l’assume en subventionnant des structures privées qui rendent un service que l’Etat ne peut assumer ».

Et les auteurs de pointer du doigt une problématique de fiscalité qui devrait être clarifiée pour sécuriser les structures de l’Economie Sociale et Solidaire, d’autant que  l’évolution des entreprises vers l’Entreprise à mission  pourrait leur créer de la concurrence. 

  • En finir avec l’aide alimentaire

« Enfonçons le clou : quand il y a menace  de déchets alimentaires, c’est ou le compost, ou le méthaniseur ou le ventre du prolo ». Pour sortir de cette vision « utilitaire » de l’aide alimentaire, il faut chercher d’autres voies . Deux exemples illustrent des manières de faire différentes : c’est le cas de  Ma P’tite Echoppe, une jolie boutique à Antony ( 92) , un lieu de vie avec, entre autres un magasin, qui prouve que l’on « peut faire du social sans en avoir l’air ». C’est le cas d’OPEN FOOD Network qui utilise les outils numériques  pour relier  « producteurs , détaillants, transformateurs et consommateurs dans un marché paysan virtuel »

A l’issue de ce tour de France des initiatives, on voit combien qu’il est  difficile d’avoir “un accès digne à une alimentation de qualité pour tous", selon la belle formule du Secours Catholique. En conclusion les auteurs nous proposent quelques pistes, comme la taxation des aliments selon leur qualité nutritionnelle, le chèque alimentaire, voire une branche alimentation dans le régime général de la Sécurité Sociale …Bref passer de la réponse d’urgence au « soutien permanent à une agriculture et un commerce humains » partagés, passer du caritatif au solidaire, en inventant de nouveaux modèles de production et de consommation qui pourraient s’étendre à toute la population. Bienvenue dans les coulisses, parfois sordides, souvent lumineuses, de l’aide alimentaire en France.

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