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LA FABRIQUE DES PANDÉMIES


Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire

Marie Monique Robin, Editions La découverte, 2021

Ce livre peut être considéré comme une externalité positive de la pandémie de COVID 19. Comme une grande partie de la population, Marie-Monique Robin était enfermée chez elle au printemps 2020. Après avoir lu un article du New York Times « We made the coronavirus epidemic »,  elle commence par contacter Serge Morand, chercheur au CNRS et au CIRAD, pour essayer de comprendre la relation entre l’activité humaine et les pandémies. Il réagit très positivement à sa demande «Ça fait longtemps que j’attends …de réunir dans un même film tous les scientifiques qui, comme moi, essaient de tirer la sonnette d’alarme en montrant par leurs travaux qu’il y a un lien direct entre crise de la biodiversité et crise sanitaire ». Il l’aide à contacter 62 scientifiques du monde entier. Et Marie-Monique Robin va passer 5 mois à échanger (à distance) sur le sujet des pandémies avec ces scientifiques. Ce sont ces échanges qu’elle nous retranscrit de manière très vivante dans un livre, avant de pouvoir en faire un film.

Les soixante-deux scientifiques qu’elle a interviewés sont unanimes pour affirmer que la solution n’est pas de courir après un énième vaccin, censé protéger d’une énième maladie infectieuse, au risque d’entrer dans une ère de confinement chronique de la population mondiale, mais de s’interroger sur la place des humains sur la planète, sur leur lien avec le monde vivant, dont ils ne représentent qu’une espèce parmi d’autres.

Ce message unanime est clair : il faut « Préserver la biodiversité pour la santé planétaire ».

C’est aussi ce que dit Serge Morand dans la préface « La solution n’est pas de se préparer au pire d’une prochaine pandémie , mais de l’éviter en s’attaquant aux causes, c’est-à-dire aux dysfonctionnements des relations entre les humains et les non humains ».

 « La fabrique des Pandémies » nous fait ainsi découvrir pour quoi nous sommes au début d’une « épidémie de pandémies » et nous donne des pistes, autres que le vaccin, pour en sortir.

Le premier chapitre, « Le retour des pestes » pose les bases : avec la grande victoire que fut l’éradication de la variole, l’homme avait l’impression qu’il était capable d’éradiquer toutes les maladies infectieuses. Et puis sont apparues de nouvelles maladies infectieuses EBOLA, Fièvre de Lassa, SRAS et maintenant COVID, et surtout le « coup de tonnerre du SIDA » . Et malheureusement, faute d’avoir compris les causes profondes, nous ne sommes pas vraiment préparés à les affronter.

Le deuxième chapitre « Les activités humaines provoquent l’émergence des maladies infectieuses » analyse les 3 grands facteurs qui contribuent à l’émergence de nouvelles pestes.  Il y a d’abord la déforestation : «  quand on compare les données spatiales et temporelles de la déforestation avec celles des maladies infectieuses émergentes, on voit clairement qu’elles sont corrélées ». Les animaux domestiques servent de pont entre faune sauvage et humains, en particulier les élevages industriels. Enfin la mondialisation des échanges, si bien illustrée par le cas de la diffusion extrêmement rapide du COVID 19 sur toute la planète.

Le troisième chapitre «  Les liens entre la biodiversité et les maladies infectieuses émergentes » revient d’abord sur l’importance de l’érosion de la biodiversité « les trois quart de la planète sont sous domination humaine et en état de dégradation avancées ». Les échanges avec plusieurs scientifiques illustrent le besoin de rétablir le lien entre santé et environnement « les épidémies de choléra, comme celles de maladies infectieuses zoonotiques et vectorielles sont liées aux altérations de l’environnement naturel et à des processus biologiques sur lesquels les humains ont une influence grandissante ».

Le chapitre «Comment la biodiversité protège la santé »  revient sur ce paradoxe apparent «plus de biodiversité signifie plus de pathogènes, mais moins de biodiversité signifie plus d’épidémies infectieuses » à travers des exemples concrets comme celui de la maladie de Lyme qui se développe dans les environnements perturbés (forêts fragmentées pour l’agriculture, zone urbaines) en raison de la prolifération de souris à pattes blanches, ou celui des vautours qui protègent les humains de la rage.

« L’effet dilution nous dit qu’en préservant la biodiversité, nous protégeons la santé des écosystèmes, des animaux,  des plantes et des humains ». Et quand il y a une biodiversité riche, il y a beaucoup plus d’effet dilution que d’augmentation du risque.

Le cinquième chapitre « Les maladies non transmissibles : l’hypothèse de la biodiversité » nous montre que «le contact avec l’environnement naturel enrichit le microbiome humain, promeut l’équilibre immunitaire et protège des allergies et des désordres inflammatoires ». Un contact précoce avec l’environnement naturel explique pourquoi les Africains n’ont pas ou peu d’allergies. La déconnection de notre mode de vie occidental de la biodiversité engendre plus de fragilité  «L’aseptisation du mode de vie occidental fait le lit des maladies allergiques, auto-immunes et inflammatoires en raison de la réduction drastique de l’exposition aux agents infectieux ». Cette fragilité se combine à une exposition plus importante : «  La perte de biodiversité est une arme à double tranchant : d’un côté, elle favorise le contact avec des agents pathogènes que l’homme n’avait jamais rencontrés ; de l’autre , elle rend les humains plus susceptibles d’être affectés profondément par ces micro-organismes infectieux ».

Le sixième chapitre « Vers une écologie planétaire de la santé »  et le septième «  bien être humain et santé des écosystèmes : les peuples indigènes montrent la voie » montrent que la réponse  passe par  une conception globale de la santé, à l’interface hommes-animaux-écosystèmes. Une première réponse «  One Health »   c’est de refaire le lien  entre santé animale et humaine, mais il faut aller plus loin et  raisonner en terme de «  Planetary Health »  en intégrant le dérèglement climatique, la production d’aliments, la pêche industrielle, l’aménagement des villes  et plus globalement la protection des écosystèmes.  

Un ouvrage très riche en témoignages qui s’entrecroisent et se confortent. Il est difficile d’en rendre compte exhaustivement dans une chronique. Toutefois la conclusion s’impose d’elle-même : « Si nous voulons éviter un effondrement global de nos conditions de vie, les politiques doivent prendre de toute urgence des mesures pour arrêter l’érosion des écosystèmes et réduire drastiquement les inégalités sociales ».

Autrement dit la préservation de la biodiversité et la lutte contre la pauvreté sont notre « assurance vie » en tant qu’espèce.

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